18 janvier 2007

Les premiers pas à Wijk-aan-Zee de Maxime Vachier-Lagrave

Avec zéro Français dans le tournoi A de Wijk-aan-Zee, tous les regards sont braqués vers le jeune espoir Maxime Vachier-Lagrave, 16 ans, qui dispute le tournoi B. Pour ceux qui ne le connaissent pas, ce nouveau petit prodige tricolore (après Etienne Bacrot qui fut le plus jeune grand maître de tous les temps) détient déjà beaucoup de titres de champion de France : le cheveu brun et rebelle, l'oeil aux aguets derrière ses lunettes, Maxime a successivement triomphé dans les catégories des moins de 8 ans, moins de 10 ans, moins de 12 ans, moins de 16 ans et moins de 20 ans. En 2003, Vachier-Lagrave a aussi été vice-champion du monde des moins de 14 ans. Cette collection de titres correspond à un début de carrière paradoxal, époustouflant d'un côté, calme et discret de l'autre. Tout commence à Noël 1995, lorsque son père reçoit comme cadeau un jeu d'échecs électronique, avec déjà, en arrière-pensée, l'idée de le prêter au fiston, attiré, du haut de ses 5 ans, par les chiffres, le calcul et le raisonnement logique. « Les échecs m'ont tout de suite plu, me disait Maxime en 2004, lorsque je l'ai rencontré pour la première fois, et, en septembre 1996, j'étais inscrit au club de Créteil, qui avait une section « jeunes » assez importante. »
A Créteil, il rencontre Eric Birmingham, qui y donne des cours collectifs : « C'était le plus jeune élève, et il était extrêmement vif. Je l'ai vite repéré parce que, lorsque je proposais des exercices pratiques, des problèmes, des attaques de mat, il était étonnant par ses capacités tactiques, combinatoires. » Au bout d'un an, l'enfant décroche son premier titre de champion de France, et le club débloque un petit budget pour qu'Eric Birmingham l'entraîne. Sans à-coup, Maxime Vachier-Lagrave monte en puissance, dépasse son maître, va au club de Clichy puis au NAO Chess Club et reste, cette saison, fidèle au club parisien (rebaptisé Paris Chess Club), malgré le départ de son mécène, Nahed Ojjeh. Selon Eric Birmingham, « Maxime a un style aigu, tranchant. C'est un joueur d'attaque, mais il n'est pas tout fou. C'est aussi un véritable petit ordinateur qui calcule les combinaisons, se trompe peu et voit loin. Surtout, Maxime reste humble. Il incarne le contre-exemple de l'idée selon laquelle il faut détester son adversaire pour se motiver, être agressif. Il lui arrive souvent de sourire derrière l'échiquier... »
Le titre de grand maître est venu à son heure et, même si sa très régulière courbe de progression plafonne depuis quelques mois, le jeune Français a, me semble-t-il, les ressources suffisantes pour passer la barre des 2600 points. Pour la petite histoire, j'ai disputé (avec une trentaine d'autres joueurs) une simultanée fin 2004 contre Maxime, dans le glacial et bruyant hall de départ de la gare d'Austerlitz, à Paris. C'était une sicilienne Najdorf avec roques inversés et, après avoir beaucoup galéré, j'ai fini par égaliser en recyclant à l'aile-dame un fou de cases noires qui n'avait aucun avenir de l'autre côté. Comme cela se passe souvent dans les simultanées, Maxime jouait très vite (et pas forcément les meilleurs coups, bien sûr, sinon je n'aurais eu aucune chance) et pour ma part, j'étais focalisé sur la gaffe à éviter. Si bien que j'ai d'abord loupé une attaque intéressante, puis, carrément, le gain d'une pièce en deux coups après une bourde de mon adversaire. Après cet épisode malheureux, il me proposa la nulle, estimant sans doute généreusement que je l'avais méritée mais... je continuai de jouer, tout simplement parce que, à cause du brouhaha et de la petite voix de Maxime, je n'avais rien entendu ! Qu'un poireau lui refuse une nulle n'avait pas dû lui arriver souvent. Je lâchai un pion puis ma position s'écroula. Après avoir raté le gain face à celui qui n'allait pas tarder à devenir grand maître, puis manqué l'occasion de partager le point, je perdis la partie.
A Wijk-aan-Zee, Maxime ne joue pas contre des mazettes. Après 4 rondes, il totalise 2 points - deux nulles, une défaite et une victoire contre le Turc Suat Atalik. C'est cette dernière partie que je vous propose de regarder aujourd'hui. Avec les Blancs, le Français était confronté à une sicilienne et, sans s'emballer mais sans dormir non plus, a construit une position agréable pendant que son adversaire perdait du temps à tripoter sa dame au coeur des lignes blanches. Comme on le voit sur le diagramme ci-contre, pris après le 24e coup du Français, tout est bien défendu côté blanc et les pions sont plus harmonieusement disposés. Il ne s'agit que d'un petit avantage mais Atalik va faciliter la tâche de Maxime en jouant 24... Ff4?! (je préfère Thg8 qui attaque le pion, car le coup du texte dispense les Blancs de protéger g4)25. Th1 Txh5 26. Te1 (pourquoi pas le plus direct gxh5, sans se poser de questions ? Peut-être par crainte, après 26... Dxf5, d'abandonner le centre à une marée de pions noirs) Dc6 27. gxh5. On s'aperçoit que le sacrifice de qualité des Noirs ne leur a pas offert de contrepartie. A partir de là, Maxime va tranquillement, comme à l'école d'échecs, doubler les tours sur la colonne "d" puis croquer les pions "a" et "b" abandonnés, pour accroître son avantage.
Finalement, le joueur turc va craquer dans la position du diagramme ci-contre. Il n'y a en fait pas grand chose à faire pour sauver les Noirs et, tout compte fait, Atalik va choisir une manière rapide de mettre fin à ses souffrances, en mangeant le pion h5 avec sa dame, coup qui oublie la protection de d6. Après 34... Dxh5 35. Txd6, les Noirs abandonnent car il n'y a plus rien à faire. 35... Txd6, pour ne pas perdre la tour pour rien, est en fait un hara-kiri car vient 36. Dxd6+ Re8 37. Dd8 mat. Le mat du couloir (qui était sans doute ce que visait Atalik) ne marche évidemment pas car après 35... Dxd1+ 36 Txd1+ à la découverte ! gagne aisément. Reste 35... Rf8 pour se sauver derrière les pions. Futile espoir : après 36. Txd7+ Rg7 37. Tg1+ et le mat est de toute manière inévitable. On pourrait dire que c'est surtout le Turc qui a perdu cette partie plus que le Français ne l'a gagnée. Ce serait oublier que Maxime avait obtenu, au sortir de l'ouverture, une position supérieure, de laquelle ont découlé la plupart des ennuis de son adversaire.

1 commentaire:

Geneviève Thélot a dit…

Bonjour !
Et bravo piur ce portrait vivant et bien écrit !
Amicalement