15 novembre 2006

La marée de pions de Grichtchouk

Avant toute chose, un petit symbole pour l'histoire de ce blog : hier soir, la dix millième page vue a été atteinte, trois semaines après que j'ai posté la première note. Un calcul rapide montre que moins de 500 pages sont vues chaque jour, alors que mon précédent blog avait atteint une moyenne de 1100 à 1200 pages par jour. Mais cela se passait dans le domaine lemonde.fr et, surtout, pendant un championnat du monde. Plus de 3500 personnes différentes ont, à un moment ou à un autre, jeté un oeil à Echecs Info. Beaucoup reviennent et, chaque jour, entre 100 et 200 "nouveaux" débarquent, parfois pour quelques secondes, parfois pour plus d'une heure... J'ai, de toute évidence, déjà un petit noyau dur d'aficionados : il me faut désormais les satisfaire et en conquérir d'autres. Merci en tout cas aux fidèles pour la publicité qu'ils me font et aux différents webmestres qui ont affiché des liens vers ce blog.
Le Mémorial Tal de Moscou est entré hier dans le sprint final avec la 7e des 9 rondes. Les trois leaders (Ponomariov, Leko et Aronian) ont annulé et se maintiennent donc en tête. Il y a tout de même eu deux parties décisives : la victoire de Boris Guelfand sur Peter Svidler et celle d'Alexandre Grichtchouk (avec les Blancs) sur Alexeï Shirov, que je vous propose de décortiquer. Il s'agissait d'une défense sicilienne (variante Rossolimo) et les choses n'ont pas traîné. Dès le 12e coup, dans la position du diagramme ci-contre, le Russe a sacrifié son cavalier sur f7. Evidemment, les Noirs ne pouvaient pas reprendre du roi car 13. Fxd5+ aurait gagné la dame. C'est donc cette dernière qui s'est chargée d'accepter le sacrifice. Après 13. Fxd6, attaquant la dame noire à la découverte, De6 14. Fxf8 Txf8 15. Cd2 Fd7 (Dd6 pour protéger le pion c5 ne marche pas à cause de 16. Cc4 qui oblige la dame à retourner en e6 pour veiller sur le cavalier f6, et le fantassin c5 est donc de toute manière perdu) 16. Dxc5, les Blancs avaient 3 pions pour la pièce, ce qui s'avérait une compensation d'autant plus suffisante que leur structure de pions était harmonieuse.
De nouveaux échanges de pièces intervinrent et la marée des pions blancs commença à gagner l'aile dame. Le diagramme ci-contre est d'ailleurs impressionnant : l'image du rouleau-compresseur, parfois galvaudée, prend ici toute sa signification. Les Noirs doivent jouer leur 33e coup et ils doivent se demander comment endiguer le flot montant. Shirov aurait peut-être dû tenter a6, histoire de créer un point de fixation autour de la case b5. En effet, si, après 33... a6, les Blancs s'en prennent à ce pion par 34. Cc5, les Noirs ont Ce6 35. Cxa6 Cf4+ 36. Rc3 Ce2+ 37. Rd3 Cf4+ et, pour éviter la répétition de coups, le roi blanc doit lâcher la protection de c4 ou d4. Je ne dis pas que cela aurait sauvé les Noirs, mais cela leur aurait permis de briser la chaîne de pions. A 33... a6, l'Espagnol préféra 33... Ce6. Grichtchouk répondit par g3, pour interdire la case f4 au cavalier, ce qui restreignit encore davantage le champ d'action des Noirs. Ceux-ci tentèrent bien de se donner de l'espace à l'aile-roi en échangeant un pion mais c'était sans grande influence sur le jeu : l'action se situait bel et bien de l'autre côté, avec l'avancée des 5 tirailleurs, devenus 4 après l'échange du pion c noir.
Il n'y avait en réalité plus grand chose à faire. Méthodiquement, Grichtchouk grignota du terrain, lança une première attaque avec son pion d, puis une seconde avec son pion b. Shirov, avec un fou complètement hors jeu, ne pouvait résister. Au 50e coup, il prit le pion d7 avec son cavalier (voir diagramme ci-contre). Sans doute était-ce un dernier test. Sans doute se disait-il que si les Blancs jouaient 51. Cxd7, il y avait, après Rxd7, une bonne chance de nulle (à condition que Grichtchouk ne joue pas 52. a5). En effet, les Noirs auraient eu le temps de rapatrier leur fou dans la zone sensible via les cases e6 et c8 (mais si les Blancs jouent 52. a5, la manoeuvre ne marche pas, car a6 et b7 obligent le fou à se sacrifier). De toute manière, dans la position du diagramme, Grichtchouk ne joua pas 51. Cxd7 mais le coup le plus fort, c'est-à-dire 51. b7. Shirov abandonna sur le champ car, après 51... Cb8, vient l'assez évident 52. a5 et l'avancée des pions a et b est irrésistible. Une victoire convaincante de Grichtchouk qui, depuis quelque temps, alterne malheureusement un peu trop souvent les hauts et les bas pour pouvoir jouer les tout premiers rôles dans les grands rendez-vous.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Ca doit etre 13.Bxd6+ pour capturer la dame avec echec a la decouverte :)
Autrement tres bonne analyse!
Perso j'attends avec impatience le demarrage du match homme/machine.
Pascal